Dans une semaine, le nom de Michel Aoun sera enfin relégué, définitivement, irrémédiablement cette fois-ci, à l’histoire ou aux moments de l’histoire du Liban, entachée, maculée, liée à son nom.
Vieillard inamovible au corps rigidifié, momie humaine au visage blanc, devenu cireux avec le temps, il siège, en tant que président de république, sur un fauteuil qu’il ne mérite pas, qu’il a toujours convoité et qu’il a pu occuper, d’abord en usurpateur entre 1988 et 1990, puis légalement, sous l’égide des armes du Hezbollah, entre 2016 et 2022.
Depuis l’occupation syrienne du Liban, je crois que jamais un homme d’état libanais ne fut à ce point haï ni conspué. Peut-être bien Amine Gemayel sur la scène chrétienne, pour avoir sciemment œuvré coup après coup, entre 1982 et 1988, à saper l’héritage de Bachir Gemayel -son frère- et pour avoir clôturé son mandat en 1988, en nommant Michel Aoun -alors commandant en chef de l’armée- chef de gouvernement militaire de transition. Mais Amine Gemayel n’a jamais bluffé personne ou prétendu être ce qu’il n’était pas. Les chabeb de l’époque avaient d’emblée compris ses limites et ses limitations.
Quant à Michel Aoun, s’il est haï à ce point aujourd’hui, c’est parce qu’un jour, en 1988, le peuple libanais l’avait adulé, soutenu. Il l’avait fait car aux oreilles de ce peuple grillé à vif, quotidiennement humilié et torturé alors depuis plus d’une décennie par les exactions perpétrées à son encontre par les soldats et agents de l’occupation syrienne du Liban, Michel Aoun scandait la libération du territoire, promettait de « casser la tête de Hafez el Assad » mais aussi de nettoyer le pays des milices locales qui avaient usé et abusé de la population. Á vouloir jouer toutes les batailles, noyé dans son délire de toute-puissance, Michel Aoun a perdu la boussole, le sens et la stratégie, l’examen matériel de ses possibilités sur le terrain, l’analyse de l’équilibre des forces et des enjeux politiques nationaux et internationaux et a perdu de fait toutes les batailles. Ses contacts l’avaient pourtant prévenu de sa chute mais à l’époque, il n’avait cru personne. Le jour de sa fin, le 13 Octobre 1990, « il a fui le palais présidentiel en pyjama », diront avec mépris ses détracteurs ; « il a fui en pyjama », raillons-nous tou(te)s aujourd’hui, amèrement.
Puis un jour, un 7 mai 2005, après des années d’exil en France, il est revenu. J’étais entre-temps devenue adulte et je ne comprenais pas mes amis qui étaient allés se joindre au mouvement populaire pour l’accueillir et célébrer son retour. Pour moi, cet homme avait déjà chuté, il y a 17 ans. Le 6 février 2006, il signa les accords de Mar Mikhael avec le Hezbollah contre lequel il luttait pourtant, ayant travaillé selon ses dires, en toute incohérence, à la résolution 1559 adoptée par le conseil de sécurité des Nations-Unies en 2004, qui appelle entre autres, au désarmement des forces armées présentes sur le territoire libanais dont le Hezbollah. Le 4 décembre 2008, il consacra son immoralité politique et sa trahison à la patrie, à ce qui fut un jour son combat, aux hommes libanais morts sous les feux du régime syrien ainsi qu’à ceux qui sont jusqu’à aujourd’hui disparus dans les geôles du même régime, en se rendant en Syrie à Damas puis à Brad, lacérant nos combats et nos larmes en échangeant sourires et poignées de main avec Bachar el Assad. Plus tard, les hommes de son parti aux postes clefs, défendaient le retour de la Syrie -exclue depuis 2011- à la ligue arabe et le rétablissement des relations bilatérales entre les deux pays.
Aujourd’hui, 6 ans après le début du mandat de Michel Aoun sur le Liban, en tant que citoyenne, je vis au quotidien dans ma famille, les séquelles percutantes du traumatisme d’avoir perdu une des nôtres en ce funeste et terrifiant 4 août 2020, lors de l’explosion survenue fruit pourri du désistement de Michel Aoun en tant que commandant en chef des forces armées libanaises et des forces de sécurité, de ses responsabilités d’assurer le contrôle et de la protection des frontières terrestres et maritimes, les léguant ainsi, les yeux fermés, à la mainmise du Hezbollah et aux opérations de contrebande. Aujourd’hui en tant que citoyenne, je roule la nuit dans des rues noires faute de courant électrique pour les éclairer ; aujourd’hui, après deux ans de galère, j’ai réussi à me fournir en courant électrique 24h/24, à travers les services d’un système parallèle. « Quelle aubaine » me disent certains compatriotes… Aujourd’hui, cela fait plusieurs jours -et cela arrive souvent faute de pannes récurrentes- que je ne reçois pas d’approvisionnement en eau courante et que je supplie les charlatans du réseau parallèle de me pourvoir en eau, veillant jusqu’à pas d’heure pour une livraison qui ne se fait pas, devant respecter que la voiture de l’un d’eux soit « d’un coup, tombée en panne », négociant ainsi avec leurs mensonges pour vivre sainement : pouvoir tirer la chasse d’eau, me doucher, laver le linge, faire la lessive, laver la maison, arroser les plantes… oui pour le minimum d’hygiène en pleine menace d’expansion du choléra. Aujourd’hui, je vois les personnes que j’aime, à la retraite, vivre chichement parce que leur argent a été hypothéqué par les banques, sous le mandat de Michel Aoun.
Aujourd’hui, en dépit de cela, je me demande quel avenir peut être possible pour le pays, tant qu’il y a encore des aounistes qui pensent toujours que ce monsieur coupable criminel qu’est Michel Aoun, est victime d’une machination qui l’empêche de réaliser ses plans de sauvetage grandioses, pensant profondément que j’allais un jour, ainsi que mes semblables opposants, me repentir à ses pieds pour lui avoir causé autant de tort (peut-être en votant contre lui ? ou en écrivant mes opinions ?) et que sans lui à la présidence, la situation au Liban aurait pu être pire.
Quoiqu’il en soit, aujourd’hui à bout, avec tout ce que nous vivons, je me dis que l’avenir du Liban ne pourrait être pire. Je suis impatiente de voir arriver le 31 Octobre 2022 et de pouvoir enfin dire : « bon débarras Michel Aoun ! Dommage que tu sois trop âgé pour passer, le jour du rétablissement de l’état de droit, par les corridors et les tribunes de la justice ! Dommage que notre haine pour toi, ne puisse être consacrée sous le coup de la sentence d’un juge ! »
Zeina Zerbé