Ancien et actuel chef de milice, portant du sang libanais et du sang intercommunautaire sur les mains, acteur majeur du système clientéliste et puant fortement l’odeur fétide de la corruption, collaborateur et un des pions principaux du régime syrien sur l’échiquier politique libanais pendant des décennies, metteur en scène avec le Hezbollah de la paralysie politique antérieure et actuelle, envoyant ses hommes charcuter la place du 17 Octobre et contre tout respect aux droits de l’homme, porter physiquement atteinte -handicapant à vie- activistes et manifestant(e)s, Nabih Berri est ainsi un homme coupable de plus d’un crime. Cet homme dont le destin devrait uniquement être le banc des accusés, dans une salle de tribunal, à l’aube de l’indépendance de l’appareil judiciaire libanais sur le pouvoir politique qui l’accapare, a présenté, en toute incohérence et pour la septième fois, sa candidature à la présidence de la chambre.
Cet acte aurait dû affoler plus d’un(e), des ténors de la justice, aux expert(e)s en droits de l’homme, aux citoyen(ne)s floués, aux député(e)s de l’opposition, tout le monde, nous tou(te)s. Mais non ! Au jeu de ce système politique, quoique souillé mais aspirant, les député(e)s de la contestation ont marché vers le parlement ; comme hypnotisés, à l’intérieur, ils semblaient happés. Oui, certains ont bien voté blanc, oui, d’autres ont demandé justice aux victimes de l’explosion du port de Beyrouth, à Lokman Slim, aux victimes des exactions illégales commises par la police du parlement, au Liban-même, oui ! Mais ces cris griffonnés sur un bout de papier n’ont pas réussi à faire chuter Nabih Berri. De ses doigts noueux, ce dernier ajoutait à la main, implacable, les tirets relatifs aux bulletins de vote qui accréditaient sa candidature et aboyait « annulé ! » contre tout bulletin qui revendiquait toute parcelle d’état de droit.
Les élections du président du parlement n’auraient pas dû prendre place en ce 31 mai 2022. Les député(e)s de l’opposition auraient dû présenter leur véto contre la candidature de Berri, lui intenter des procès pour les crimes nombreux qu’il a commis ou à défaut de pouvoir le faire, étaler son CV politique et le désavouer face à l’opinion publique nationale et internationale, rendant de fait, illégitime sa candidature ; ils auraient dû par ailleurs briser le monopole dictateur qu’il exerce autour du troisième pilier du pouvoir politique et la chape de terreur qui empêche tout autre candidat de confession chiite à briguer le poste. Cependant, en se rendant au parlement tout en connaissant à l’avance les résultats des élections, ils/elles se sont mis devant le fait accompli de composer avec tous les pions du Hezbollah et de l’occupation iranienne du Liban et se sont retrouvés acculés au rôle de contestataires, certes sincères, mais concrètement inefficients face à la machination écrasante et perverse du pouvoir.
Mabrouk les coups de feu qui ont fusé, tirés par les miliciens de Berri pour célébrer sa victoire. Ils ont réussi à suspendre brièvement la réunion importante que j’avais avec une collègue à l’université; je me suis alors sentie tendue à l’idée d’une balle perdue qui risquait de faucher n’importe lequel/laquelle d’entre nous. Laconique et méprisante, j’ai déduit et commenté : « ils célèbrent ! ». En sortant de la réunion, j’ai cueilli les réactions tristes, dégoutées et déçues : « Abou Saab a été élu vice-président de la chambre », résultat de la perfidie aouniste dont la retransmission en direct m’avait heureusement été épargnée, mais non pas les effets.
En quittant l’enceinte de l’université, la douleur me broyait le cœur du fait de cette énième victoire ensanglantée emportée par le Hezbollah, contre moi, contre ma famille, contre les victimes de l’explosion du port de Beyrouth, contre Lokman Slim, contre notre pays, notre drapeau, contre chacun(e) de nous… L’amour qui se débat, à l’agonie, sous l’étau pervers du crime, fait mal! Et envers et contre tout, nous saignons de l’aimer tellement fort notre Liban….
Zeina Zerbé