http://www.lorientlejour.com/article/772319/Agir_et_non_plus_se_soumettre.html OLJ 8 Aout 2012
Qui n’a pas de pas de passé, n’a pas d’avenir.
Le passé, c’est les traditions. Le passé c’est les coutumes, le passé c’est les valeurs. Tous les jours, nous vivons notre passé. Nous le parlons à coup de langue, à coup de bouffe, à coup de sauces, à coup de verres.
Le passé aussi on nous le raconte. On nous le raconte à coup de mots, des mots de conteurs, mots des grands-parents puis des parents. On nous le raconte aussi à coups de photos, à coups de poèmes, à coups de romans, à coups d’auteurs, de peintres, à coups d’histoires mais aussi d’un livre d’Histoire.
Le passé d’habitude on le visite aussi, physiquement, en visitant des monuments. Là nous opérons, l’espace d’un temps, un passage dans un autre temps, celui des histoires, l’histoire des grands-parents. On touche les vieilles pierres comme si on caressait leurs visages, on s’y adosse alors en hommage à la mémoire mais aussi confiants en la solidité d’un patronyme…
Eh oui !! La conjonction de ces éléments permettent à l’homme cohérence et congruence, lui confèrent une identité culturelle. Généralement ses parents la lui transmettent et il la transmet en retour à ses enfants.
Nous parlons ici de racines et d’un devoir naturel de transmissions identitaire et culturelle comme une transmission de la vie….
Cependant depuis au moins 35 ans le Liban se meurt un peu plus chaque jour à coups de non transmissions. Avec acharnement et insistance, un marteau piqueur persévère à démolir les consciences, la mémoire, l’héritage, la langue, l’histoire, la culture. Il bouffe au peuple son oxygène, l’intoxiquant à petit feu, pire qu’un holocauste, qu’un massacre, qu’un génocide. Il s’agit là d’un génocide de la raison qui embrume l’esprit et le propulse vers une folie certaine et l’apprentissage de la soumission. Il le pousse à la résignation et le transforme, lui qui ne comprend plus rien, qui a peur, qui a mal, en un être abruti d’antidépresseurs, de neuroleptiques, de tranquillisants et de calmants qui lui ôtent à la fin jusqu’à sa capacité de penser, de vivre, de critiquer, de vouloir !
Ce marteau piqueur s’acharne sur les pierres, chaque pierre, enlevant aux quartiers leurs cachets, leurs histoires, leurs passés, enlevant au peuple ses aïeux : l’époque phénicienne, l’empire romain, l’empire ottoman etc. mais où sont leurs vestiges ? La guerre demeure alors là à coups de tortures, de cris lancinants d’un passé qui agonise, hurlant de douleur parce qu’on l’arrache, qu’on le vole, qu’on le lapide… et face à ses cris, rien n’affole plus que la surdité et l’irresponsabilité des responsables qui actionnent sans consulter ni experts ni historiens des actes de vente d’un patrimoine collectif, indifférents, voraces et gloutons face aux sommes d’argent qui coulent dans leurs poches éternellement trouées …
Echec et mat.
Et pendant que le passé se démantèle, un immeuble sans aucune structure architecturale bâtie sur un plan de ville, est conçu. Il est là, ce n’est pas sa place, il se dresse sur les cendres d’un fantôme dont les hurlements grincent dans les oreilles de citoyens affolés.
Affolés, affolés aussi parce que ces mêmes responsables, ceux du passé proche font le présent à coups de mensonges. Ils empêchent l’écriture de l’histoire, l’histoire qui se dessine sur la photo jaunie d’un martyr, d’un disparu, d’un kidnappé, l’histoire qui se dessine dans les cauchemars persistants et les réveils nocturnes tout en sueurs de ces hommes qui ont fait la guerre dont les enfants et les petits-enfants ne comprennent rien au regard fou et pour s’en détourner, s’adonnent au bruit qui dérange leurs éducateurs et fait bourdonner leurs classes.
Comment les vivants peuvent-ils reposer en paix ? Comment ? Quand même les musées de chacun des auteurs libanais se situent dans leurs village reculés, quand l’accès à la culture est chèrement monnayé, quand l’éducation est offerte aux prix des classes sociales, quand rien ne calme plus l’angoisse que l’excitation proposée par les émissions grivoises sur les chaines de télévision ou la fuite en avant dans le rêve de naitre turc par exemple, exprimé en rigolant par des centaines de femmes, d’adolescents et d’enfants juste pour se retrouver à la place des héros de ces feuilletons turcs dont la majorité du peuple devient pathétiquement dépendant du déroulement.
Et en dépit de tout cela, leurs droits civiques ne sont pas protégés. Leur gouvernement est corrompu, leurs tribunaux sont corrompus, leurs droits sont obstrués par l’appartenance aux castes, leurs guerres sont faites sans qu’ils y comprennent la cause, ils s’y embarquent et caquètent au seuil de leurs ignorances. Leurs routes ne sont pas aménagées, leurs lois sont entérinées, ils sont agressés quotidiennement par les coupures de courant électrique et de coups de fils qu’ils payent à coups de factures de coût de générateurs et de coûts de rappels. Le pire c’est qu’à la fin, peut-être un peu pour ne pas mourir, ils applaudissent, de moins en moins, mais ils applaudissent toujours les leaders politiques.
Peut-être que ce tableau noir ici brossé est un tableau connu de tous, cette rengaine dont il reste beaucoup à dire est une rengaine souvent chantée… Peut-être que nous la chantons encore une fois pour dire qu’il est temps d’arrêter de dénoncer et d’agir…
Même si dénoncer demeure pour nombre d’intellectuels, un moyen essentiel et nécessaire de dire, de reconnaitre, de ne pas sombrer… Peut-être qu’il est temps, à la lueur d’un 14 mars 2005, du printemps arabe, de tout arrêter par un mouvement du peuple et non pas par les mots de leaders, de descendre dans les rues pour l’amour d’un projet qui s’appellera Liban, toutes communautés confondues. Ce projet aura pour racines le précieux passé historique et culturel ; pour traitement médical des ravages de la guerre l’écriture d’une histoire, le respect et l’acceptation des différences identitaires, la reconnaissance des torts causés entre autres par la mégalomanie des minorités et la crainte viscérale de l’autre ; les ramifications et projets d’avenir se nommeront alors : santé, éducation, environnement, culture, architecture urbaine, droits de l’homme et du citoyen, justice civile etc.
Peut-être est-il temps d’écouter et d’agir au lieu de continuer à se soumettre passivement à ce bourdonnement de bruit de fantômes… il est peut-être temps…
Zeina Zerbé